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Le dialogue social à la française est toujours ancré dans un jeu de postures et d’oppositions d’un autre siècle. La gouvernance des entreprises est, elle, largement datée malgré l’inondation actuelle d’anglicisme. La médiation pourrait-elle favoriser l’un et l’autre et bénéficier aux salariés comme aux entreprises ?

L’idée est répandue que la mondialisation entraînerait une perte de pouvoir des entreprises. Confrontées à une compétition accrue, elles n’auraient d’autre choix que de se plier aux lois du marché en compressant les coûts de fabrication, entraînant détérioration des conditions de travail et baisse des salaires.

Cette vision est contredite par les connaissances que l’on a sur les critères de performances des entreprises : c’est à mesure que les performances individuelles augmentent que la performance collective augmente. Faire des économies en dégradant les conditions de travail ou investir pour favoriser la motivation des salariés ; la deuxième option est plus rentable. Or, la médiation favorise la motivation en se positionnant sur la qualité des interactions. Elle limite également les coûts liés à un turn-over élevé car l’une des premières causes de démission est la mauvaise entente avec son n+1 et le manque de reconnaissance.

Les directions ne sont pas nécessairement responsables des difficultés relationnelles entre collègues. Mais elles sont responsables dans leur façon de gérer ces situations qui peuvent avoir un effet négatif sur la productivité des individus et leur fidélité. Une direction proactive dans la détection et la gestion de ces difficultés recourra facilement à la médiation.

« C’est le propre de la pensée totalitaire que de concevoir une fin des conflits » disait Hannah Arendt. Il n’y a pas lieu d’en avoir honte, ils sont inhérents à toutes organisations humaines. Mais lorsque la direction refuse de gérer les conflits car elle ne sait pas ou n’ose pas les aborder (notamment ceux liés à la « diversité »), ou qu’elle les confond avec l’esprit de compétition, la performance s’en ressent. Sans parler de la qualité de vie au travail voire de la souffrance des acteurs…

Les relations collectives du travail abordent les relations entre direction et instances représentatives du personnel. Un climat social sain favorise le pilotage de l’entreprise grâce à l’expression des besoins des parties, leur prise en compte dans l’organisation de la société, l’épanouissement des collaborateurs, la satisfaction des dirigeants et des actionnaires et in fine la performance collective. Cela ne signifie nullement absence de difficulté ni de conflit, mais volonté de dépasser les situations de blocage. De plus, un dialogue social efficace permettra de construire des accords dérogatoires propres à l’organisation. Médiation de projet, anticipatrice de potentielles difficultés futures, médiation interne et audits sociaux sont d’autres options ouvertes. La médiation pourrait rentrer dans notre culture de gestion des conflits et du dialogue sociale, l’élément principal étant la volonté des parties de dépasser leur différend.

Médiation, progrès social et relations sociales

L’engagement militant de certains médiateurs a pu conduire à ce que les bienfaits de la médiation ne souffrent aucune résistance légitime[i]. Mais le principal frein au développement de la médiation en entreprise est sa mauvaise image, le conflit pouvant être perçu positivement ! « Le conflit dans les relations sociales est généralement mis sur le compte de divergences d’intérêt ; dans l’imaginaire collectif, il renvoie à une lutte, inévitable, entre les apporteurs de capital et la force de travail, autour du partage de la valeur ajoutée ; ainsi, le conflit social serait à l’origine d’une dialectique positive et, au fil de l’histoire, il a acquis ses lettres de noblesse »[ii]. La perception dominante reste que les avancées sociales n’ont jamais été obtenues grâce à un dialogue constructif, ni grâce à la mansuétude des employeurs à l’égard des travailleurs, mais en raison de la pression de ces derniers.

Dans les relations sociales, il peut donc apparaître étrange d’évoquer la légitimité de la médiation, porteuse de principes tels que écoute, coopération, volonté de résoudre ensemble le différend. Les organisations syndicales considèrent majoritairement que la médiation est fondée lorsqu’il n’y a pas d’autres alternatives, par exemple pour sortir d’une grève. Mais la finalité des organisations syndicales n’est pas la paix sociale, c’est le progrès social. D’où la volonté d’installer d’abord un rapport de force favorable.

Et la médiation peut nuire à l’ensemble des salariés en favorisant les départs individuels négociés, car ils auraient peut-être pu obtenir davantage en restant unis. La confidentialité et l’individualisation des départs poussent au non-changement. Il y a rarement une remontée collective des problèmes récurrents en médiation, et en apaisant un certain nombre de situations, elle réduit la grogne qui pourrait entraîner une mobilisation collective. Et peut-être des changements plus radicaux. Intérêts individuels contre intérêts collectifs.

Dialogue social : un changement de l’intérieur est-il possible ?  

Installer un rapport de force favorable : tel est le crédo des protagonistes. Cela peut-il changer ? Faut-il nécessairement se battre avant de véritablement se parler ? La médiation peut-elle tout de même concourir à un changement de paradigme ?

Dans un contexte d’accroissement des inégalités, les détenteurs du pouvoir économique créent les conditions d’une lutte des classes en ne cédant rien d’eux-mêmes de leurs positions avantageuses. De l’autre côté du spectre, les contrepouvoirs syndicaux s’entretuent dans une lutte acharnée pour la popularité dans une sorte de course à l’échalotte à qui montrera les plus gros biceps. Au risque de discours tellement idéologiques qu’ils en perdent en crédibilité.

Les individus et les organisations sont régis par deux dynamiques antinomiques, l’une allant vers l’évolution et l’autre vers l’homéostasie. Dès lors que la médiation est toujours perçue comme un outil nouveau, elle sera automatiquement rejetée par certains. Ceux-là auront du mal à quitter leur posture de belligérants.

Si l’ensemble des partenaires sociaux reste fermé à l’introduction de nouveautés (essayer un dialogue social constructif, utiliser la médiation dans cette optique), le dialogue social à la française n’est-il pas condamné à se cantonner à une confrontation partisane ? Cela n’aboutit-il pas à la crise du syndicalisme actuelle ? Les inégalités sont-elles en train de décroître ? Le niveau actuel du sentiment d’appartenance des salariés à l’entreprise et l’adhésion à ses valeurs n’est-il pas préoccupant ?

C’est peut-être de cette crise que jaillira un nouveau paradigme pour la défense des intérêts communs des différents acteurs de l’entreprise. Gandhi, Luther King ou Mandela ont utilisé la lutte dans un premier temps. Ils se sont finalement tournés vers d’autres moyens pour faire avancer leur cause, avec le succès que l’on connaît. I have a dream.


[i] Arnaud Stimec, Gérer les résistances à la médiation, Gestion, volume 31 n°4 Hiver 2007

[ii] Michel Perron, Comprendre et gérer le conflit relationnel, Gérer et comprendre, mars 2009, n°95

Par Gildas Majault